Banda Aceh - Tsunami, 12 ans après

Salut à tous ! Tout d'abord bonne année ! De la santé, des voyages et beaucoup d'amour, merci encore de me lire, puisque vous avez été plus de 800 à avoir fait un tour sur mon blog en 2016 ! Ca fait plaisir ! De mon côté, je sens que ça va être encore très riche en 2017 ! 

Aujourd'hui, premier post donc de l'année et dernier post Indonésien, et c'est depuis la ville côtière de Banda Aceh où je l'écris, à l'extrême Nord de Sumatra, à la terrasse d'un café et à 1 km de la mer. 

Difficile de croire que l'endroit où je suis a été complètement pulvérisé par le Tsunami du 26 décembre 2004.

On se souvient tous de ce jour,où,tranquillement dans nos canapés, nous assistions impuissants à l'une des catastrophes les plus meurtrière de l'histoire.

On a tous vu des images de Pukhet et des stations balnéaires de la Thaïlande ravagées, parce que c'est là qu'il y a eu le plus de pertes occidentales. Mais sur les 250 000 morts qu'a fait le Tsunami, c'est la province d'Aceh en Indonésie qui a payé le plus lourd tribut, avec 170 000 pertes et plus de 550 000 déplacés.

A 07h58 du matin, heure locale, le 26 décembre 2004 donc, un séisme de magnitude 9.0 secoue l'île de Sumatra, l'épicentre est à 160 km seulement des côtes, il est ressenti jusqu'au Sri Lanka, Singapour, le Bangladesh ou encore l'Inde. D'après les personnes rencontrées "il était impossible de rester debout sans tomber". Il soulèvera le plancher océanique de 6 mètres le long de la jonction des deux plaques, sur 1200 km. 20 minutes plus tard, à 08h28, après s'être retirée sur 2 km, laissant le fond apparaître, et les poissons à l'air libre, l'eau revint. De nombreuses personnes se sont massées en bord de mer, intriguées par le spectacle, certains ont même repris leurs activités. L'eau monta d'abord très lentement, les gens fuyants à son arrivée. 20 minutes après c'est une vague que certains situent entre 15 et 25 mètres qui atteignit les côtes de Sumatra, ravageant tout sur 5 km à l'intérieur des terres. Et laissant derrière elle un paysage de désolation. Certains témoins parlent de dix vagues successives sur Banda Aceh.

J'arrive le 28 décembre 2016 à l'aéroport de Banda Aceh depuis Padang, soit quasiment 12 ans jour pour jour après la catastrophe. Le trajet en taxi me fait apercevoir les premiers monuments du Tsunami, sortes de monolithes métalliques indiquant jusqu'où le niveau de l'eau est monté à différents endroits de la ville. Ca fait déjà réfléchir. Une discussion avec mon chauffeur, Pollag, m'apprend qu'il a perdu un enfant dans le désastre et énormément de membres de sa famille, il ne doit son salut qu'aux débris auxquels il s'est accroché, il a dérivé, et je me dis que c'est encore un séjour qui va secouer. 

La ville est reconstruite, les routes sont larges et neuves, les avenues propres, ça contraste avec ce que j'ai put voir, et ça n'a rien à voir avec la bordélique et poussiéreuse Médan. Les gens ont quand même laissés ça et là quelques traces du cataclysme. Un bateau sur une maison, un magasin détruit, histoire que personne n'oublie.

Je suis logé à la Crystal guesthouse, très, mais alors très rustique, mais comme l'offre ici n'est pas bien importante, je m'en contenterai. 

Je rencontre Ficri, le propriétaire de la guesthouse. Il a travaillé 6 mois à Genève pour médecins sans frontières, avant de revenir au pays. Il a été naturellement recruté pour coordonner la logistique des secours à Banda Aceh après le tsunami.

Il me raconte son Tsunami, comment il s'est retrouvé avec de l'eau jusqu'au cou, au premier étage de la guesthouse, n'ayant aucunes nouvelles de sa famille, il perd deux cousins, son oncle et sa tante, mais ses enfants et sa femme survivent, dans leur maison, de l'autre côté de la rue.

Ficri est très croyant, pour lui, tout ceci est l'oeuvre de Dieu, qui a voulu punir les hommes. Je n'ose pas remettre en question son point de vue, ce n'est pas le moment. Je lui dis que je suis géologue, pour lui c'est un outil pour expliquer, mais que la première raison est Dieu. le fait que seule la grande mosquée ait tenue alors que tout fut détruit autour conforte tout le monde dans ces croyances.

Nous passons la soirée à discuter, il m'explique la fierté du peuple d'Aceh, qui dans son histoire a été un peuple combattant avec force le colonialisme portugais, puis hollandais, et comme ils ont toujours défendu l'Indonésie contre l'envahisseur (lors notamment de la guerre opposant le sultanat d'Aceh aux Indes Neerlandaises). Il me raconte aussi la richesse de la Province d'Aceh, son or notamment, qui aujourd'hui coiffe le monument national de Jakarta, mais aussi de ses richesses en gaz. Cette richesse qui a toujours attisé les convoitises de Jakarta, qui s'en est accaparé les principaux revenus. Cette inégalité entre pouvoir central et provincial a menée à la mise en place d'un front de libération de la province d'Aceh et d'un mouvement indépendantiste intense. Ce mouvement a amené une répression sans merci du gouvernement central sur la province d'Aceh. Il me raconte les 30 ans de guerre civile qui ont opposé l'armée et les séparatistes , l'instauration de la loi martiale et du couvre-feu, toujours en vigueur la veille du tsunami. Ils me racontent les exactions dans les villages, les viols à l'abri des regards (la zone étant interdite aux étrangers) ou encore l'année 1950, le jour où le gouvernement Indonésien à décidé de faire de Médan la capitale de Sumatra, au détriment de Banda Aceh, pour lui donner moins de pouvoir, ce qui reste toujours en travers de la gorge des gens ici.

Quand il me raconte tout ça, il se baisse sur la table, se rapproche de moi, et me parle à voix basse, regardant autour de lui, les murs ont des oreilles apparemment, et les gens n'ont quand même pas digéré cette période.

Les gens se sont de nouveau déjà rapprochés de la mer, et ont repris leurs habitudes. Je n'ose pas non plus lui demander pourquoi Dieu s'en serai prit à la région qui croit le plus en lui, et applique ces préceptes au pied de la lettre. La Province d'Aceh applique la Sharia depuis 1999, et c'est la région où l'Islam est appliqué avec le plus de ferveur, dans le quotidien des gens.

La Sharia a été "offerte" par le gouvernement central à la province d'Aceh pour faire un pas dans le processus de paix. Donc ici, on oublie la bière, l'alcool est bien sur interdit par la loi, interdiction aussi aux relations hors mariage, aux démonstrations physiques en public, aux paris et c'est voile obligatoire pour les filles (avec une certaine tolérance pour les touristes et non-musulmane). Les châtiments publics par coups de canne devant la mosquée de ceux qui ont fauté sont toujours d'actualité. Pour Ficri, cela permet à Banda Aceh d'être la ville la plus sûre d'Indonésie, et d'éloigner ce qui détruit les familles, à savoir l'alcool, le jeu et l'adultère. Soit, je ne remettrait pas en question ces propos, même si je ne supporte pas les interdits. La police religieuse veille.

La guerre civile s'est brusquement arrêtée après le Tsunami, lorsque l'armée, forcée de venir en aide aux populations a redoré son image, et que, choqués par tant de pertes humaines, les deux camps ont déposé les armes en Août 2005. "Une autre preuve du choix de Dieu" me dit Ficri. 

Le lendemain, un peu de légèreté, je prends le FastBoat pour Pulau Weh, petite île perdue au Nord de Banda Aceh. Je devais y passer 4 jours pour plonger, mais cloué au lit par une fièvre carabinée (Mentawaï, est ce que c'est vous ?), je passe mes 3 premiers jours à me reposer. J'y passerai finalement une semaine, les fonds sont exceptionnels et j'en prends plein les mirettes. Je loge au Lumba Lumba, un centre de plongée en bord de plage tenue par deux Hollandais, qui tiennent leur survie à un arbre qui passait par la. Le club fut rasé par la vague. 

J'ai une chambre de nabab, lit double, hamac, vu sur la jungle, la mer et les singes. Parfait pour récupérer et se remettre.

Je passe le Nouvel An sur place, en compagnie de l'ensemble des plongeurs et encadrants du club. Passer un nouvel an sans une petite goutte de boisson qui rend joyeuse ne m'enchante guère, mais deux caisses de Bitang achetées à prix d'or auprès du commissariat local feront l'affaire, hypocrisie quand tu nous tiens. On passe un super moment, au bord de l'eau, tous ensemble. Le restaurant nous sort un buffet Indonésien de toute beauté, Randang, Nouilles sautées, Poissons entiers grillés, Tempe, Beignets... toute la diversité de la gastronomie Indonésienne est là, et c'est un délice.

J'ai la chance d'avoir tous mes potes de Calédonie au téléphone, ils ont 4 heures d'avance sur moi, je les choppes pour leur minuit à eux, au beau milieu d'une fête dont ils ont le secret, ça me mets un coup de blues autant que ça me rebooste, je ressens une vague d'amour de ma famille des îles, c'est magnifique, on a du mal à les oublier ceux la. Charlotte y va aussi de son appel, ça remet du baume au coeur. Décidément, des fêtes originales, dans mon coin.

Le dernier jour, j'ai le projet de faire le tour de l'île en scooter, je suis refroidi par des pluies diluviennes qui viennent entacher mon enthousiasme, et me clouent dans ma chambre.

Banda Aceh - Tsunami, 12 ans après

Jeudi 05 Janvier, une semaine jour pour jour après mon départ pour Pulau Weh, me voilà de retour sur la ville de Banda Aceh. J'apprends que les festivités du nouvel an ont été interdites par les autorités, les feux d'artifices dans les magasins confisqués, car la date du 1er Janvier correspond à celui du calendrier Grégorien et pas à celui du calendrier Islamique. Décidément.

Le dernier nouvel an remonte à 2013.

Mon hôte est là pour venir me récupérer, et je fais tout de suite la connaissance de Fadzilah et Aryana, deux Malaisiennes, mère et fille, en vacances sur Banda Aceh et Pulau Weh, et encore une magnifique rencontre. Elle ont pris une chambre dans ma guesthouse, mais ont raté le bateau du matin. Elles attendent celui de 15h. 

Elles habitent Kuala Lumpur et parlent un anglais parfait. Elles sont d'origine Indienne et voyagent ensemble souvent. Je leur dit que je pars sur Kuala Lumpur demain, on se recroisera forcément, et j'en ai vraiment envie.

Fadzilah, la mère, travaille aussi dans l'humanitaire, et a été dans les premiers jours après le tsunami sur les lieux du désastre, elle y est resté 6 mois. Elle travaillait pour le Comité de la Croix Malaisien. C'est son premier retour à Banda Aceh depuis 12 ans, elle est vraiment surprise par la reconstruction.

Nous visitons le musée du Tsunami de Banda Aceh tout les trois. Nous montons sur le scooter, elles m'embarquent. C'est une femme forte Fadzilah, elle est arrivée le 04 janvier 2005 sur les lieux, elle me raconte l'odeur dans les rues, les corps qui se décomposent et qui se déchirent quand il faut les mettre dans les sacs plastiques, elle me raconte comment on ne pouvait absolument plus différencier les femmes des hommes, mais que, comment certains corps étaient merveilleusement conservés après 10 jours dans l'eau, "Protégés par Dieu" qu'elle me dit.

Elle fut en charge de mettre en place l'orphelinat de Banda Aceh, qui a recueilli les enfants orphelins après la catastrophe, tu parles d'une aventure. Je me demande si j'en aurai été capable de tout ça moi. Rien que la visite du musée te donne les larmes aux yeux, la nausée, mais aussi l'espoir de voir toute cette aide unie.

Le soir, grâce à Marie Paule, une française rencontrée à Paris il y a 6 mois dans un bar, je rencontre Zatin, une jeune Indonésienne de 36 ans, fervent pratiquante, qui travaillait pour la croix rouge Anglaise pendant les secours et Andri, 37 ans, athée convaincu et radicalement opposé à toute forme d'ingérence religieuse dans son quotidien, artiste peintre et musicien, travaillant comme archéologue dans le cadre de recherches financés par une université américaine, il est "le seul rebelle de tout Banda Aceh, je n'en connais aucun autre. Ma seule loi, c'est la constitution indonésienne, regardes, de toute façon personne n'a bougé alors que c'est la troisième fois que le nouvel an est annulé". Comble, il a survécu au Tsunami en se réfugiant dans une mosquée.

Il a collaboré avec de nombreux journalistes étrangers pendant l'après tsunami. Il est comme ça "parce qu'il a un cerveau" selon lui. Il est particulièrement en colère contre l'hypocrisie, celle de ces imposeurs de lois que l'on retrouve dans les bars et strip-club de Jakarta, de cette guerre contre l'alcool alors que la Marijuana a été complètement sortie de la loi parce qu'elle profite trop à la corruption de la police locale, ou encore sur le fait que c'est une loi très dure envers les femmes uniquement, leurs interdisant camping, randonnée ou encore plage sans Hijab.

Il me dit avoir perdu beaucoup d'amis par son discours extrémiste, et avoir toujours des soucis, mais pour quelqu'un qui s'est fait virer de son boulot parce qu'il ne voulait pas se couper les cheveux, je pense que le combat est déjà bien entamé. Il est végétarien, c'est sa forme de "rebellion pacifique".

Zatin, elle, travaille aujourd'hui pour la croix rouge Indonésienne, toujours à Banda Aceh, dans la mise en place des procédures de secours et la prévention des risques, elle va également au contact des anciens rescapés du conflit, toujours traumatisés par plus de 30 ans de guerre civile ("Un désastre bien plus gros que le Tsunami"). On parle de la Sharia, de la place de la femme dans la société de Aceh aujourd'hui, de la vie avant et après tsunami, pour elle il y a du mieux et une évolution de la société "mais le changement, c'est lent, et quand tu es né dans ce contexte, tu y es habitué", elle est défend la Sharia comme une façon de maintenir l'ordre. Pour Andri " la société de Banda Aceh impose une loi rétrograde à l'ensemble de la population, qui a le cerveau lavé, et qui surtout ne veut pas faire de vagues, ça crée une frustration chez les gens, qui ne peuvent pas exprimer leurs amour comme ils le souhaitent".

Moi je vois surtout deux jeunes de 36 et 37 ans, qui n'ont pas trouvé l'âme soeur, faute de rencontres autorisées, sans enfants et sans compagnon. 

Copyright Andri Gapi

Copyright Andri Gapi

L'aide post-tsunami à été la plus importante de toute l'histoire humanitaire. Il y a eu des défauts dans la gestion, de la corruption, des fonds mal utilisés, des difficultés de coordinations, mais en tout, ce sont 54 pays pays du monde entier qui ont participé sur place à l'effort de reconstruction. Les premiers à arriver furent la Malaisie et Singapour, suivis des USA.

Après, compte tenu de la géopolitique mondial, les USA ont été les plus grands bienfaiteurs, en essayant de changer leur image en venant en aide au plus grand pays musulman du monde. L'ONU également, après la mésentente avec le gouvernement Indonésien sur la question de l'indépendance du Timor Oriental, est arrivé dans un contexte de méfiance de la part des autorités.

Un élan mondial de générosité s'est enclenché, par les dons, les habitants de Banda Aceh s'en souviennent, et un nombre impressionnant de contingents étrangers est arrivé d'un coup, distillant un vent de liberté, a envahis les cafés, crée une vie nocturne et culturelle après des années d'isolement. L'administration religieuse a perdu son pouvoir, parce que les gens avaient besoins de l'aide internationale, avec ses règles de pays occidentaux. Certains sont restés jusqu'à 5 ans, et puis tout le monde est reparti, modifiant l'état d'esprit d'Aceh.

Zlatin, elle, me dit "qu'une telle discussion, toi et moi, dans un café, aurait été impossible avant le tsunami, on m'aurait regardé de travers, maintenant, il y a des cafés partout, et je n'ai plus de raison de me cacher, parfois, même les désastres ont du bon". Ca restera néanmoins la seule fille du café ce soir, et il est comble, remplit d'hommes, jeunes pour la plupart.

Le départ de ces centaines de personnes étrangères a laissé un grand vide pour cette jeunesse, qui s'est de nouveau retrouvé dans une ville régit par une loi religieuse que tout le monde ne veut pas, même si pour Andri "si il devait y avoir un vote demain, les gens voterai pour le maintient de la Sharia". Malgrés tout, l'Indonésie est arrivée à bout du plus grand effort de reconstruction qu'un pays eu à supporter et d'un conflit de 30 ans. Et les gens d'Aceh seront éternellement reconnaissant au monde de les avoir aidé, ils me l'ont tous dit. La ville a repris son quotidien, mais jusqu'à quand ? Le risque tsunami est toujours là.

"Dieu a frappé une fois, ils ne frappera pas de nouveau" me dit Ficri. J'aimerai le croire.

Une situation compliquée donc, que je ne peux juger après 3 jours seulement ici, mais j'ai eu l'occasion de parler avec des gens passionnants, et de tous points de vue. Je vous laisse seuls juges.

C'est mon dernier jour en Indonésie, je ferai un article bilan à mon arrivée à Kuala Lumpur où je décolle demain. C'était puissant, un pays aussi vaste que divers, difficile à résumer. Mon voyage pourrait s'arrêter demain que j'en aurai déjà assez vu. Mais il me reste 10 mois... ça promet ! 

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